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Interview

Le document qui dénonce les exactions de la chasse

En France, les chasseurs perturbent la nature davantage qu'ils ne la régulent... ©Adobestock

« Vocation : l’animal sujet de droit, propositions pour de nouveaux horizons » invite à reconsidérer le rôle des chasseurs et la place de l’homme dans la nature, proposant une "déclaration des droits de l’animal sauvage et des espaces naturels". 30millionsdamis.fr a interrogé Benoît et Valérie Thomé, respectivement président et vice-présidente d’Animal cross.

Basée à Jurançon (64), Animal cross est une association à but non lucratif qui agit pour la protection et la défense de tous les animaux. Elle a pour ambition de promouvoir des alternatives crédibles et efficaces pour diminuer ou supprimer la souffrance animale causée par l’homme et favoriser une meilleure prise en compte des intérêts des animaux. Dans le cadre de son travail en faveur des animaux sauvages victimes de la chasse, elle propose une synthèse de près de 200 pages, très documentée et bien sourcée.

30millionsdamis.fr : Qu’apporte votre ouvrage par rapport au débat actuel sur la chasse ?

Benoît Thomé : Le sujet de la chasse apparaît largement débattu, mais très peu connu. Une trentaine de personnes de notre équipe se sont donc réunies tous les mois pendant une année. Au final, c’est un document avec deux mouvements assez différents : l’un pour dénoncer les exactions de la chasse, et l’autre pour parler plus globalement de notre vision de l’animal dans une perspective d’avenir.

Les chasseurs prétendent « débarrasser » les agriculteurs des animaux « nuisibles ». Que pensez-vous de cet argument ?

 

Piégés dans les enclos face aux meutes de chiens, les sangliers sont totalement terrorisés.
Benoît Thomé, Animal cross

B.T. : Les animaux dits « nuisibles » sont dorénavant qualifiées d’espèces « susceptibles d’occasionner des dégâts ». Pour les « grands ongulés » (sangliers, chevreuil, cerf), ces « dégâts », très localisés, sont minimes en proportion des surfaces agricoles : 0,56 % de surfaces indemnisées pour le maïs, 0,07 % pour le blé et 0,04 % pour le colza. Le problème majeur de l’agriculture, ce n’est pas les animaux sauvages, mais les évènements climatiques extrêmes !

Valérie Thomé : L’article L246-1 du Code de l’environnement rend les chasseurs responsables des dégâts causés par le grand gibier, les obligeant à indemniser les agriculteurs, ce qui leur donne une légitimité pour tuer ! L’indemnisation devrait relever de la responsabilité de l’Etat, qui la verserait à l’agriculteur à condition que celui-ci mette en place des mesures de protection.

Les animaux chassés peuvent-ils s’avérer utiles à l’homme par leur présence ?

B.T. Les renards, par exemple, mangent plusieurs milliers de campagnols par an, venant ainsi en aide aux agriculteurs. Leur présence diminue la maladie de Lyme, car ils mangent les petits mammifères sur lesquels s’alimentent les tiques porteuses. Les mustélidés – fouines, martres, belettes… – sont aussi très utiles : les romains se réjouissaient d’avoir ces « gendarmes sanitaires » près de leurs maisons.

V.T. Parmi les oiseaux chassés, le geai des chênes est non seulement un avertisseur de danger pour les autres espèces, mais on peut aussi le considérer comme le « reboiseur de la forêt » car il transporte les glands et permet aux arbres de se renouveler. S’il faut vraiment montrer que les animaux sauvages sont utiles pour pouvoir les protéger, alors nous ne manquons pas d’arguments !

Vous soulignez aussi qu’une grande partie des animaux tués par les chasseurs proviennent d’élevages…

 

A cause du plomb des munitions de chasse, le saturnisme aviaire tue 1 à 2 millions d’oiseaux chaque année.
Benoît Thomé, Animal cross

B.T. Sur 45 millions d’animaux sauvages tués par les chasseurs, 21 millions sont élevés et relâchés pour la chasse, soit une proportion de plus de 46 % ! Ne sachant ni trouver à manger, ni se protéger seuls dans la nature, ces animaux inadaptés à la vie sauvage sont tués ou meurent dans les quelques jours qui suivent leur relâcher.

V.T. Sans compter les milliers de sangliers relâchés clandestinement par les chasseurs dans la nature !

Y a-t-il réellement un « problème sanglier » que les chasseurs permettraient de résoudre ?

B.T. En 1975, il y avait 50 000 sangliers abattus, contre 700 000 aujourd’hui : leur présence s’est accrue. Les chasseurs se présentent comme ceux qui vont résoudre le problème. Or, avec l’agrainage, consistant à nourrir les sangliers pour les détourner des champs, ils en multiplient le nombre ! Cette technique leur sert à entretenir ce qu’ils appellent un « capital gibier », un stock d’animaux à tuer.

Que se passe-t-il dans les enclos et parcs de chasse ?

B.T. Ce sont des lieux entièrement clos, où les animaux sauvages n’ont aucune chance de s’en sortir face aux chiens, qui vont forcément les trouver. Ce qui est terrible, c’est le bruit de ces meutes. Les sangliers sont totalement terrorisés ! Et cela, tout au long de la semaine, plusieurs heures par jour.

V.T. Rien ne protège ces sangliers, car en dessous du seuil de densité d’un individu par hectare, ils ne sont pas considérés comme « animaux sauvages tenus en captivité » par la législation.

Vous avez d’ailleurs mené une réflexion sur le statut des animaux sauvages dans notre pays…

 

Les renards aident les agriculteurs en mangeant plusieurs milliers de campagnols par an.
Benoît Thomé, Animal cross

B.T. En France, aucune loi ne protège les animaux sauvages. L’article 521-1 du Code pénal, qui sanctionne les actes de cruauté envers les animaux, ne s’applique pas à eux. C’est ce qui rend possible toutes les techniques les plus cruelles : chasse à courre, déterrage des blaireaux, chasse à la glu…

V.T. Nous proposons donc une « déclaration des droits de l’animal sauvage et des espaces naturels », selon laquelle « Tous les êtres vivants, domaines de la nature, minéral, humain, végétal, animal, naissent et demeurent libres et égaux en devoirs et en droits ».

Combien de victimes la chasse cause-t-elle chaque année en France ?

B.T. Au-delà de la vingtaine de décès humains par an attribuable à la chasse, se pose aussi la question de l’utilisation des armes de chasse dans des cas de suicides et d’homicides. Selon le CépiDc, l’organisme qui recense les causes de décès, les carabines et fusils de chasse font 900 à 1600 morts par an ! En moins d’une minute, n’importe qui peut remonter son arme et régler ses comptes. C’est pourquoi nous demandons que les armes de chasse n’aient pas accès au domicile des particuliers.

V.T. Par ailleurs, quand on parle des blessés et des morts liés à la chasse, on ne s’intéresse pas aux animaux domestiques qui en sont victimes. Il suffit de voir le nombre d’articles sur des chiens et des chats tués ou blessés par des plombs de chasse, de chevaux morts par balle de chasse

Les chiens de chasse peuvent-ils, eux aussi, être considérés comme des victimes ?

 

Ne sachant pas trouver à manger seuls, les animaux élevés pour la chasse meurent rapidement après leur relâcher.
Benoît Thomé, Animal cross

B.T. Les races actuelles ont été développées dès la 2de partie du XIXe siècle pour favoriser certaines caractéristiques morphologiques et comportementales : rapidité à la course, capacité à marquer l’arrêt… On entend les chasseurs dire que « le chien exprime sa nature » à la chasse, alors que cela n’a rien de naturel ! En outre, cette sélection génétique a des conséquences très marquées sur leur santé : le « bassetisme » des teckels et des bassets hound occasionne dysplasies et problèmes articulaires, par exemple.

Sur le sujet du permis de chasse, vous êtes favorable à un contrôle médical régulier.

B.T. Oui. Si vous prenez le permis de tir sportif : chaque année, vous devez passer une visite médicale. Pensez-vous qu’il en soit de même pour le permis de chasse ? Bien sûr que non ! Vous passez une visite médicale au début, et puis… plus rien. Nous demandons, à minima, une visite médicale annuelle obligatoire.

La pollution de l’environnement au plomb, liée à la chasse, est un vrai problème. Que proposez-vous ?

B.T. Le bilan de l’Agence européenne des produits chimiques (EChA) est dramatique : 21 000 tonnes de plomb sont utilisées chaque année par les chasseurs dans leurs munitions. Ce plomb, qui s’accumule dans le sol, contamine les animaux qui l’ingèrent. Le saturnisme [intoxication au plomb, NDLR] tue 1 à 2 millions d’oiseaux chaque année !

V.T. Depuis 2005, la grenaille de plomb étant interdite dans les zones humides, les chasseurs y utilisent des alternatives telles que l’acier. L’inconvénient de ces alliages plus légers, c’est qu’ils blessent davantage les animaux, sans pour autant les tuer ! Il n’y a pas 36 solutions, il n’y en a qu’une : diminuer la quantité de cartouches.

Cela a-t-il un sens de parler de droits et de devoirs pour les animaux ?

 

En France, la quasi-totalité des espaces "protégés" sont chassables !
Benoît Thomé, Animal cross

B.T. Pour les animaux, les devoirs sont les rôles que chacun remplit, par sa simple présence et par sa nature même : le rôle dans les écosystèmes pour les animaux sauvages, mais aussi le rôle au sein du foyer pour les animaux de compagnie, par exemple.

V.T. Nous avons essayé d’imaginer ce que les animaux sauvages demanderaient pour eux-mêmes : le droit de ne pas être tué par l’homme ; le droit aux soins ; le droit à la liberté ; le droit à un milieu préservé ; le droit de vivre en communauté naturelle ; le droit à la survie de leur espèce.

Vous proposez même d’accorder des droits aux espaces naturels. Pour quelle raison ?

B.T. En France, les espaces « protégés » représentent 20 à 25 % du territoire métropolitain terrestre : parcs naturels régionaux ; forêts domaniales ; zones Natura 2000 ; parcs nationaux… L’ensemble forme un millefeuille juridique très compliqué. Or, la quasi-totalité de ces espaces sont chassables !

V.T. Nous demandons que 30 % des espaces protégés soient non chassables, mais aussi que 10 % du territoire métropolitain soient sans présence humaine. Car partout où il y a des activités humaines, cela occasionne des conflits d’usage. Alors que la biodiversité s’est effondrée, il faut des actions fortes.

Pour commander le document, rendez-vous sur la boutique en ligne de l'association Animal cross.