Par un décret du 19 octobre 2022, le gouvernement semble tirer les conséquences de la gestion cynégétique on ne peut plus paradoxale des sangliers, qui consiste – pour certains chasseurs – à déclarer vouloir « réguler » les populations… tout en entretenant les effectifs. 30millionsdamis.fr dresse un bilan en demi-teinte.
Nourrissage, tirs sélectifs, lâchers dans la nature… Les sangliers font l’objet de pratiques cynégétiques en opposition avec l’argument de la « régulation » maintes fois évoqué par les chasseurs pour justifier leur activité. Le gouvernement semble l’avoir compris puisqu’un décret du 19 octobre 2022 est venu restreindre ces pratiques… tout en admettant des dérogations.
Le projet de décret originel, soumis à la consultation du public entre février et mars 2020, avait dans un premier temps indigné les ONG de protection animale, dont la Fondation 30 Millions d’Amis, en prévoyant une ouverture de la chasse au grand gibier au 1er juin de chaque année, au lieu du 15 août. Heureusement, rien de tel dans le texte définitif : la chasse anticipée au sanglier et au chevreuil demeure soumise à autorisation préfectorale préalable.
« Cette disposition était d’autant plus choquante que le monde cynégétique venait juste d’obtenir (par un autre décret) un mois de rab pour chasser « la bête noire », avec une fin de saison de chasse repoussée au 31 mars, rappelle l’Association pour la protection des animaux sauvages (ASPAS). Rétropédalage donc, sur ce point, et entrée en vigueur de quelques mesurettes intéressantes qui pointent implicitement du doigt la gestion calamiteuse des populations de sangliers par [certains] chasseurs. »
Parmi ces « mesurettes » : la création d’une nouvelle infraction consistant à nourrir les sangliers en vue de les « concentrer » sur un territoire. Cette pratique est désormais passible de l’amende prévue pour les contraventions de la 4e classe, soit 750 euros. Une disposition dont l’effectivité dépendra toutefois de l’efficacité du contrôle mis en place… A cet égard, l'ASPAS invite tout un chacun à signaler d’éventuels signes de nourrissage : « Si vous continuez de voir des tas de patates, de betteraves ou de baguettes de pain dur lors de vos balades en forêt, prévenez donc les autorités ! (et envoyez vos photos à temoignage[at]aspas-nature[.]org). »
L'agrainage sert à entretenir un "capital gibier" : autrement dit, un stock d’animaux à tuer.
Benoît Thomé - Animal Cross
« En revanche, l’agrainage à poste fixe et l’agrainage linéaire (ces tas ou trainées de maïs que l’on voit parfois le long des chemins, pour soi-disant éloigner les animaux des cultures agricoles…) restent autorisés, déplore l’ASPAS. Et c’est là toute l’hypocrisie : donner de la nourriture aux animaux, de quelque façon que ce soit, influe forcément sur le cycle de reproduction de l’espèce et perturbe l’équilibre naturel du milieu dans lequel ils évoluent ! » « Avec l’agrainage consistant à nourrir les sangliers pour les détourner des champs, les chasseurs en multiplient le nombre, ajoute Benoît Thomé, Président d’Animal Cross, sur 30millionsdamis.fr. Cette technique leur sert à entretenir ce qu’ils appellent un "capital gibier" : autrement dit, un stock d’animaux à tuer. »
Le décret du 19 octobre 2022 interdit en outre de fixer dans le schéma départemental de gestion cynégétique (SDGC) « des consignes de tir sélectif qui remettraient en cause le fameux "équilibre agro-sylvo-cynégétique" ». « Si l’État a jugé utile de l’écrire noir sur blanc, c’est que ces tirs visant à épargner les femelles reproductrices sont une pratique courante, prévient l’ASPAS. Mais les fédérations de chasse se gardent bien de le dire publiquement ! ». Sauf pour la saison de chasse 2011-2012, une affiche officielle de la FDC du Doubs interpellant ouvertement les chasseurs sur ce sujet : « Si vous tirez trop de reproducteurs, les populations de sangliers seront trop faibles pour assurer un renouvellement correct et durable… Vous en serez alors les premières victimes » ! CQFD.
Dix ans plus tard, le constat est le même. « Aujourd’hui, les pratiques cynégétiques visent encore dans de nombreuses régions de France à préserver les animaux adultes et particulièrement les laies reproductrices, dans le but d’assurer une bonne survie de la population », alerte un rapport parlementaire de 2019. « Le nombre de chasseurs est par ailleurs en diminution constante ; cette préoccupation entraîne un positionnement paradoxal du monde de la chasse vis-à -vis de la régulation des sangliers : les fédérations craignent qu’une régulation efficace parvenant à faire fortement baisser les effectifs de grand gibier (…) n’engendre une diminution encore plus forte du nombre de chasseurs, ajoutent les parlementaires. C’est pourquoi, les fédérations des chasseurs ne souhaitent pas une réduction sensible des populations de sangliers qui provoquerait une nouvelle chute du nombre de porteurs de permis » !
Mais si les « consignes » de tir sélectif sont désormais interdites, rien n’empêche les chasseurs de procéder, dans les faits, à ce type de pratique, pourvu que le Schéma départemental n’en fasse pas la promotion.
Ce n’est plus de la chasse mais un massacre.
Raymond Louis - Président de l’association des amis des chemins de Sologne
Enfin ! Le décret du 19 octobre 2022 interdit le lâcher de sangliers, que l'espèce soit classée susceptible d'occasionner des dégâts ou non. Il prévoit néanmoins une exception « au sein des terrains clos des établissements professionnels de chasse à caractère commercial prévus à l'article L. 424-3 du code de l’environnement. » Autrement dit, les chasseurs ne pourront plus procéder aux lâchers de sangliers dans la nature, y compris sur autorisation préfectorale ; mais ils pourront continuer de pratiquer la chasse dite « en enclos » qui concerne en France près de 100 000 animaux d’espèces différentes : des sangliers principalement, mais aussi, des cerfs élaphes, mouflons, daims, biches et chevreuils.
La pratique est pourtant décriée par de nombreuses ONG – dont la Fondation 30 Millions d’Amis – et personnalités publiques – parmi lesquelles Michel Onfray, Laurent Baffie, Corinne Lepage – voire par certains chasseurs eux-mêmes ! « Quand vous entendez pendant un quart d’heure la pétarade, franchement, même en tant que chasseur, je préfère descendre de mon mirador et rentrer chez moi, déplorait, début 2021, Hubert-Louis Vuitton, président de la Fédération départementale des chasseurs du Loir-et-Cher (France Info). Ce qui me choque, c’est d’avoir ces quantités de gibier, étalés à droite à gauche, dans le sang. » « Quand on prélève 200 sangliers en une partie de chasse sur un domaine de moins de 150 hectares, ce n’est plus de la chasse mais un massacre », confirme Raymond Louis, Président de l’association des amis des chemins de Sologne (Reporterre).
Depuis plusieurs années, des tentatives politiques émergent pour y mettre fin, malheureusement sans succès. Regain d’espoir en octobre 2022, lorsque les députés ont voté à l’unanimité la proposition de loi limitant l’engrillagement des domaines privés : s’il était définitivement voté, ce texte devrait permettre de mieux lutter contre la chasse en enclos.
Si la Fondation 30 Millions d’Amis salue in fine ces quelques avancées, elle reste toutefois convaincue que la mission de la « régulation » ne pourra pas être satisfaite tant qu’elle demeurera entre les mains de ceux qui « prennent du plaisir dans l’acte de chasse ».
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