La dernière version du rapport « Planète vivante » publié par le WWF atteste d’une aggravation du déclin des animaux sauvages. Alors que les solutions à mettre en œuvre pour enrayer cette chute sont connues, l’action ne suit pas. L’art peut peut-être contribuer à changer cette situation. En particulier la littérature, mise à l’honneur chaque année par la Fondation 30 Millions d’Amis dans le cadre de son prix littéraire.
Un énième cri d’alerte. Le WWF a livré l’édition 2022 de son désormais classique rapport « Planète vivante ». Publié tous les deux ans depuis 2014 (il s’agit donc du cinquième opus), ce rapport évalue – avec un recul de quatre années – l’état des populations de vertébrés sauvages ; ce qui signifie que le rapport 2022 se réfère aux données 2018. Cette évaluation est obtenue à partir d’un « indice planète vivante » (IPV), calculé par l’ONG conjointement avec la Société Zoologique de Londres (GB), qui consiste à agréger les données scientifiques relatives à plus de 32000 populations de plus de 5200 espèces de vertébrés sauvages. L’indice permet alors, à partir d’une année de référence (1970), de mesurer leur évolution.
Malheureusement sans surprise, le résultat est aussi sans appel : les populations étudiées ont chuté de 69 % entre 1970 et 2018 [c’était 68 % entre 1970 et 2016 (rapport 2020) et 60 % entre 1970 et 2014 (rapport 2018)]. Mais le plus effrayant est que rapports après rapports, déclarations après déclarations, la faune sauvage disparaît sous nos yeux, que nous en sommes conscients et que pour autant rien n’est fait véritablement et collectivement pour l’empêcher.
L'urgence est dans le fait de changer notre façon d'habiter la planète et de consommer différemment.
Hélène Soubelet.
« Le rapport confirme ce qu’on sait, à savoir qu’il y a une accélération du déclin du vivant », note Hélène Soubelet, directrice générale de la Fondation pour la recherche sur la biodiversité qui déplore que l’action « reste ponctuelle et n’est pas encore structurelle », rappelant que « l’urgence est de changer notre façon d’habiter la planète et de consommer différemment (par exemple la nourriture), et globalement moins (par exemple les vêtements, les équipements électroniques…) ». Autrement dit, nos modes de vie anéantissent les animaux sauvages, alors même que les effets du réchauffement climatique sur eux restent encore limités.
Notre inaction collective face à une telle urgence est difficile à comprendre. Et si la culture, et notamment la littérature, servait d’élément déclencheur là où l’égrènement de faits (dramatiques) ne suffit pas ? « Souvent les grands écrivains nous permettent de comprendre certaines situations, mieux que des descriptions chiffrées », avance la philosophe Florence Burgat. Marielle Macé, professeure de stylistique et essayiste (« Une pluie d’oiseaux » [José Corti, 2022]; « Façons de lire, manières d’être » [Gallimard, 2011]…), rappelle que la littérature « permet de réparer les liens, comme de les maintenir ou d’en créer d’autres ».
On ne veut protéger que ce à quoi on se sent lié.
Marielle Macé.
Or, « on ne veut protéger que ce à quoi on se sent lié » précise-t-elle. La littérature peut aussi « multiplier les points de vue, et nous aider à nous mettre à la place, à ressentir ce que ressent par exemple le saumon qui remonte la rivière » ; tout comme elle est seule capable « de rendre compte des interactions invisibles, comme entre la vie d’un personnage et celle d’un écosystème ». En somme, la littérature, en nous faisant vivre une expérience sensible qu’on ne pourrait vivre autrement, peut nous lier à nouveau au monde et aux animaux. Ou à tout le moins, nous y aider.
A l’instar du « Dernier des siens » (Sybille Grimbert, Éd. Anne Carrière, 2022) par exemple : ce roman raconte le lien entre un homme et un grand pingouin, dernier de son espèce. A travers le sort de Prosp, le pingouin, le lecteur pensera plus globalement à la situation de la faune sauvage, par analogie. C’est via les sentiments de son personnage, et donc par des émotions, que le drame de l’extinction est ici suggéré par l’autrice, qui confie à 30millionsdamis.fr ne pas avoir cherché à délivrer un message, et que c’est précisément pour cela que la littérature peut permettre de changer le regard : « J’ai pensé simplement que l'histoire de cet amour, de cette amitié, de la prise de conscience de Gus [le personnage humain principal du livre, NDLR], pouvait faire sentir que l'extinction des espèces est quelque chose de grave".
Bien sûr, la lecture ne résoudra pas tout, car c’est d’inflexion sur nos modes de vie dont les animaux ont désespérément besoin. Mais en faisant appel à nos émotions et en modifiant nos points de vue, elle peut nous mettre ou nous remettre en situation d’agir. A partir de là, une action résolue et collective peut redevenir tangible. C’est à espérer en tout cas…
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