Fondation 30 Millions d'Amis

Fondation 30 Millions d'Amis
Faites un donFaire un don

La Ferme des Aubris

La Ferme des Aubris, un havre de paix pour les équidés maltraités ou abandonnés

Le refuge de la Tuilerie

Refuge "la Tuilerie" un havre de paix pour les animaux sortis de l'enfer

 €

Votre don ne vous coûte que
XXX après réduction fiscale

Actualités

Le sanglier, à nos désamours

Les sangliers, animaux sensibles et intelligents, en viennent à être traités comme des choses, pris dans des enjeux sociopolitiques contradictoires. © Adobestock.

Dans certains territoires le sanglier est objet de conflits, dont il est la première victime. Injustement mal-aimé, cet animal fait les frais d’un malentendu qu’il est nécessaire de lever. Ceci implique de repenser nos liens avec lui, comme le suggère l’ouvrage « Sangliers, géographies d’un animal politique » (Actes sud, 2022). 30millionsdamis.fr s’est notamment entretenu avec l’un des co-auteurs.

Dans de nombreuses zones rurales, il est un habitant incontournable, un voisin inévitable : le sanglier. Figure familière que l’on ne cherche pourtant pas à connaître, seulement à cantonner à son lieu de vie (la forêt) et dont on ne supporte pas l’irruption dans les nôtres ; évoqué essentiellement via les mesures chiffrées des dégâts qu’il provoque et dans des termes, au fond, administratifs : « prélèvement », « régulation », « prolifération »…

L’impasse de la régulation

Il est un fait qu’il y a de plus en plus de sangliers, ce que d'ailleurs personne ne nie. Et la « régulation » par la chasse ne fonctionne pas partout loin de là : la saison de chasse 2020-2021 a vu la capture d’environ 800 000 sangliers (selon l’Office Français de la Biodiversité, OFB), contre à peu près 36 000 pour la saison 1973-1974. C’est d’ailleurs une tendance observée dans toute l’Europe. Mais c’est aussi le cas d’une espèce comme le chevreuil ou du cerf, autour duquel il y a pourtant nettement moins de crispations.

 

Les chasseurs régulent mal.

Richard Holding - ASPAS

Richard Holding, chargé de communication pour l’Association pour la Protection des Animaux Sauvages (ASPAS), joint par 30millionsdamis.fr, résume l’impasse : « Il y a objectivement des départements où les sangliers prolifèrent, au sens où on voit un déséquilibre, mais d’une part ce n’est pas le cas partout, d’autre part les chasseurs régulent mal. Alors qu’un prédateur comme le loup va cibler en priorité les individus faibles ou malades, ce qui va exercer une pression de sélection finalement bénéfique aux espèces qu’il chasse. » Il souligne aussi le fait que les chasseurs sont ambivalents sur la question de la prolifération : « Si on prend l’exemple de la Drôme, où la population de sangliers ne pose pas de difficultés du fait de la présence du loup, on voit que les chasseurs affirment qu’il n’y en aurait pas assez : ceci découle du fait qu’en France, la chasse est avant tout une activité de loisir avant d’être une activité de régulation de la nature ».

Des solutions inexploitées

L’ASPAS propose des alternatives, comme laisser les prédateurs revenir, et à plus court terme stériliser les sangliers : « On le fait dans l’enclos de chasse que nous avons racheté, si on s’en donne les moyens, on peut déployer la stérilisation sur l’ensemble d’un territoire ».

Coauteur de « Sangliers, géographies d’un animal politique » (avec Roméo Bondon, Actes sud, 2022), Raphaël Mathevet, directeur de recherches au CNRS, souligne lui aussi l’existence d’autres voies : « Il y a d’autres moyens d’aménager le territoire, par exemple en utilisant des systèmes de clôture, peut-être aussi peut-on utiliser des moyens sonores et olfactifs ou des ultrasons et, en tous cas, se remettre à discuter tous ensemble, au niveau de chaque territoire, pour trouver des solutions au cas par cas, en partant de l’éthologie du sanglier, ce qui implique de le repenser à partir de l’animal sauvage qu’il est », propose cet écologue et géographe.

 

Repenser le sanglier pour ce qu'il est, un animal sauvage.

Raphaël Mathevet - CNRS

Il n’est pas certain pour autant que le gouvernement, très favorable à la chasse, entende le message. D’autant que les controverses semblent ne jamais trouver d’issue : les causes de cette prolifération étant multifactorielles (changement climatique ; afforestation des terres abandonnées ; pratique de l’agrainage, même encadrée ; élevages de sangliers en vue de les relâcher pour la chasse ; adaptabilité du sanglier...), chacun campe sur ses positions.

Pendant ce temps, le suidé est chaque année au cœur de polémiques récurrentes, pris entre agriculteurs qui subissent les dégâts qu’il cause, chasseurs en charge de sa « régulation » mais aussi de compenser lesdits dégâts et donc sous pression financière, élus qui croulent sous les plaintes de leurs administrés, préfets inquiets des collisions routières, et associations de protection des animaux et de la nature qui s’alarment de l’emprise de la chasse sur le sujet, alors même qu’elle semble en échec.

Et globalement le sanglier n’est, finalement, jamais évoqué pour l’animal qu’il est, avec ses besoins, ses lieux de vie, ses caractères.

Pour une coexistence apaisée

L’ouvrage coécrit par Raphaël Mathevet et Roméo Bondon choisit donc de parler du sanglier en se mettant « à sa hauteur », pour se demander comment « cohabiter avec ce vivant qui, bien souvent, nous dépasse ».

R. Mathevet explique à 30millionsdamis.fr le point de départ de la démarche : « Nous étions étonnés de voir comment le sanglier avait changé de statut en quelques décennies, de celui d’une espèce rare représentant le « sauvage » pour les naturalistes et un noble gibier recherché par les chasseurs à celui d’espèce commune à réguler ; parallèlement, on observait que le sanglier s’imposait de plus en plus dans les discussions et était devenu un objet de vives tensions sociales. Nous nous sommes donc demandé comment on avait pu en arriver là ».

 

Comment cohabiter avec ce vivant qui, souvent, nous dépasse?

Raphaël Mathevet

L’ouvrage mêle passages littéraires et développements scientifiques. Les premiers permettent de se mettre dans la peau du sanglier, et décrivent des scènes, variées, de la vie de l’animal. Ce qui souligne que le sanglier n’a que faire de nos délimitations et catégories et, qu’au fond, nous sommes autant « chez lui » qu’il est « chez nous » ; et donc que nous pouvons être autant une nuisance pour lui que nous estimons qu’il peut l’être pour nous.

Les seconds permettent d’envisager une critique de la situation actuelle, notamment en revenant sur ses causes, multiples. L’ensemble permet de prendre le contrepoint des perspectives habituelles à partir desquelles le sujet est abordé et propose de voir le sanglier pour ce qu’il est, de partir de sa façon de vivre pour organiser une coexistence apaisée avec lui. Sans nier les difficultés qu’il pourrait poser, mais sans non plus oublier sa nature d’être libre, sensible et conscient. Invitant les acteurs à sortir de leurs oppositions pour embrasser une telle démarche.