Si la pollution sonore marine sévit depuis le début de notre ère industrielle, la découverte de son existence ne remonte qu'au milieu des années 1990. Car à la différence des autres sources de pollutions (plastique, chimique, pétrolière...), celle-ci est invisible. Elle n'en est pas moins dangereuse pour les espèces subaquatiques. 30millionsdamis.fr alerte sur ce fléau et recense quelques unes des solutions susceptibles d'y remédier.
Navires à moteur, éoliennes offshore, sonars, études sismiques, utilisation d'explosifs, extraction pétrolière... Dans les mers et océans, les sources de nuisance sonore sont multiples, et non sans risque pour la faune marine. Il a pourtant fallu attendre 1996 pour le comprendre, lorsque douze baleines ont été retrouvées échouées sur les côtes grecques, quelques heures après un exercice de l'OTAN extrêmement bruyant. Le bruit serait même perceptible jusque dans la fosse des Mariannes, le point océanique le plus profond de la planète : 11 000 mètres de fond (Agence américaine d'observation océanique et atmosphérique, mars 2016).
Des nuisances sonores qui ne cessent d'augmenter au fur et à mesure que les activités humaines s'intensifient... Et inversement ! Depuis le début du confinement, la diminution des activités humaines - via notamment l'arrêt des croisières - devrait « réduire presque instantanément la quantité de bruit dans les océans au niveau mondial », analyse Michelle Fournet, Bioacousticienne et écologue à l'Université américaine de Cornell (The Atlantic, avril 2020). Même « si le trafic maritime a diminué, le transport commercial n'est pas stoppé, tempère de son côté Michel André, Professeur et bioacousticien. Nous réalisons des mesures comparatives depuis plusieurs semaines au niveau des observatoires acoustiques LIDO (Listening to the Deep Ocean environment) et nous espérons pouvoir mesurer cette question prochainement ».
Invisible, la pollution sonore n'en est pas moins dangereuse pour les espèces qui évoluent en milieu aquatique. En altérant leur système auditif, elle affecte l'orientation des animaux qui en viennent à s'échouer sur les côtes ou à percuter les bateaux. Leurs capacités à communiquer, à se reproduire, à se nourrir et à éviter les prédateurs en sont tout autant réduites. Plus particulièrement, le bruit sous-marin cause chez les cétacés de multiples souffrances physiques et psychiques, telles que des troubles du comportement, des blessures à l'ouïe (ou à d'autres tissus) et un risque accru de maladies. Pire, certains mammifères marins stressés par le volume sonore sont voués à des morts plus directes. Par exemple, le son émis par les sonars militaires ou les prospecteurs miniers pousse les ziphiidae - dites « baleines à bec » - à fuir mortellement vers la surface, sans aucun palier de décompression. « Le passage de bateaux ou même d'un hélicoptère ou d'un avion à basse altitude peut aussi conduire, au sein des rassemblements de morses (...) à un mouvement de foule, comme chez les humains, alerte la chercheure Isabelle Charrier au Journal du CNRS. Tous les individus vont fuir à l'eau et, dans la panique, des jeunes vont être complètement écrasés. Ce type de bousculade a déjà eu lieu en Alaska, avec des centaines de morts. »
Le bruit sous-marin affecte des milliers d'espèces !
Michel André - Bioacousticien
Les cétacés n'en sont pas les seules victimes puisque ce fléau ne concerne pas seulement les espèces qui utilisent consciemment les sons, mais l'ensemble de la faune marine. « Depuis 2011, il est admis que le bruit sous-marin affecte les milliers d'espèces - crustacés, coquillages, coraux... - qui n'entendent pas mais captent les vibrations, précise à 30millionsdamis.fr Michel André. Lorsqu'elles sont exposées au bruit, leurs organes sensoriels présentent des traumatismes acoustiques, aux dépens du maintien de leur équilibre. Ces espèces finissent alors par mourir en quelques jours ». En somme, toute la chaîne alimentaire est affectée par le bruit dans toutes les eaux du monde, à l'exception des océans Arctique et Antarctique.
« Contrairement à d'autres formes de pollution du milieu marin, le bruit, s'il est éteint, n'a plus aucun effet, rappelle M. André. Un bon espoir, donc ! ». Primo, il est possible d'agir sur les nuisances sonores dites « non-intentionnelles » (bruit issu du trafic maritime, pilonnage nécessaire à l'ancrage des éoliennes,...). Dans le secteur maritime, cela implique de privilégier des moteurs silencieux, d'entretenir régulièrement les hélices et la coque des bateaux, ou encore, de limiter la vitesse de navigation. Dans le domaine des énergies marines renouvelables, des « rideaux de bulles » peuvent être mis en place autour des constructions pour réduire la propagation des ondes acoustiques. Secundo, il importe de réduire l'impact des nuisances sonores dites « intentionnelles » car introduites de façon consciente (canons à air utilisés pour la recherche de pétrole, sonars militaires). A cette fin, les opérateurs peuvent recourir à des mesures d'accompagnement pour détecter la présence avoisinante de mammifères marins et interrompre les opérations jusqu'à ce qu'ils soient suffisamment éloignés. Il leur reviendra également de recourir à des alternatives technologiques, actuellement à l'étude. Enfin, les « consommacteurs » sont invités à acheter moins de poissons issus de la pêche industrielle et moins de produits issus d'importation pour « privilégier la production locale le plus possible », préconise l'Association C'est Assez !
Contrairement aux autres sources de pollution, le bruit, s'il est éteint, n'a plus aucun effet.
Michel André
Toujours est-il qu'« il n'existe actuellement aucune réglementation internationale contraignante, se désole Céline Sissler-Bienvenu, Directrice d'IFAW France (ESpèces, février 2019). La plupart des règles, normes, pratiques et procédures visant à lutter contre la pollution acoustique revêtent une nature politique ». Ainsi, en 2014, l'Organisation maritime internationale a adopté de simples directives visant à conseiller les concepteurs, constructeurs et exploitants de navires. A l'échelle européenne, la Directive-cadre « Stratégie pour le milieu marin » de 2008 se borne à définir l'absence d'impact du bruit sous-marin sur les écosystèmes comme indicateur du « bon état écologique du milieu marin ». En France, « un guide définissant des préconisations pour limiter les impacts des émissions acoustiques en mer d'origine anthropique sur la faune marine » était attendu à l'été 2019... mais n'est toujours pas connu à ce jour (Réponse ministérielle du ministre de la Transition écologique et solidaire, publiée au JO le 11 juin 2019).
La voie vers le silence est encore longue à parcourir. Pourtant, l'adoption de mesures juridiquement contraignantes apparaît, plus que jamais, indispensable à la protection de la faune marine et des océans, dont dépend notre survie.
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