En provenance d’Allemagne, 69 génisses gestantes ont été envoyées en Turquie en septembre 2024 à des fins d’abattage. Soupçonnés d’être contaminés à la fièvre catarrhale ovine, ces animaux sont restés immobilisés à la frontière bulgaro-turque pendant plus d’un mois. La Fondation 30 Millions d’Amis condamne les atrocités vécues par ces bovins, révélatrices de l’incompatibilité du transport d’animaux avec le bien-être animal.
Un véritable scandale sanitaire a de nouveau éclaté à la frontière bulgaro-turque. Entre le 12 septembre et le 15 octobre 2024, deux camions transportant 69 génisses – toutes en état de gestation – sont restés bloqués à la frontière turque, après avoir parcouru plus de 2.000 kilomètres en provenance de l’Allemagne. Refusés par les autorités locales pour des raisons sanitaires, ces animaux destinés à l’abattage ont agonisé dans ces camions, entrainant la mort de huit vaches, treize veaux, deux génisses non ambulantes et un nouveau-né. Cette affaire a suscité la colère des défenseurs des animaux, jusqu’au sein même du ministère fédéral allemand de l'alimentation et de l'agriculture (BMEL). « Trop c'est trop ! », avait réagi le ministre fédéral Cem Özdemir dans une déclaration.
Des animaux immobilisés dans des conditions insalubres
Autrefois touchée par la fièvre catarrhale, la région allemande de Brandebourg n’est aujourd’hui plus concernée par cette maladie épidémique. Son statut de « pays indemne » a, depuis, été retiré des certificats vétérinaires délivrés par l’Office vétérinaire de la région. Mais cela n’a pas convaincu les autorités turques de laisser entrer ces animaux sur son territoire. Un refus qui a conduit à des semaines de cauchemar pour l’ensemble des génisses présentes à bord. « Les animaux étaient debout et allongés jusqu'aux genoux dans des excréments et ont dû donner naissance à leurs veaux dans ces conditions », condamne Animal Welfare Fondation, organisation internationale de protection animale basée en Allemagne.
©Animals Angels & Animal Welfare Foundation
Un rapport de synthèse rédigé par Animal Welfare Foundation et Animal’s Angels, et consulté par 30millionsdamis.fr, met en évidence de graves problèmes de santé et de bien-être animal durant toute la durée du transport. Manque d’espace, animaux malades et épuisés, absence d’assistance vétérinaire pour les nouveau-nés…la liste s’allonge et révèle des infractions à la réglementation européenne. Le document mentionne par exemple « le peu de chances de survie » de ces veaux, ainsi qu’ « un approvisionnement limité ». « Selon les informations recueillies, pendant deux jours, les animaux n’ont reçu aucune nourriture », alerte Animal Welfare Foundation.
En somme, des souffrances sévères, provoquant la détérioration de ces animaux à la frontière de Kapikule (Turquie). « Je fais ce métier depuis plus de vingt ans. J’ai vu beaucoup de choses dans ma carrière, mais ce cas-ci est le plus traumatisant », témoigne Iris Baumgärtner, directrice des opérations à Animal Welfare Fondation, jointe par 30millionsdamis.fr.
Les autorités allemandes informées une semaine après l’incident
Le rapport laisse apparaître quelques zones d’ombres. Par exemple, le temps écoulé entre le refus de la Turquie [16/09/2024] et l’information transmise aux autorités allemandes [23/09/2024] : « Pendant une semaine, il n’y a pas eu la moindre communication établie par l’organisateur du transport, lequel devait immédiatement informer les services allemands de la situation, révèle Iris Baumgätner. Nous souhaitons le poursuivre en justice, car il est responsable de toute la souffrance causée chez ces génisses. »
Mais une fois l’incident attesté, le BMEL assure que rien n’a été « négligé, afin de trouver rapidement une solution aussi humaine que possible ». « Les autorités ont envisagé le retour des animaux, mais cette solution a été rejetée par la Commission européenne », a indiqué le ministère dans une réponse écrite à 30millionsdamis.fr.
Après des échanges intensifs avec les autorités turques, l’Allemagne a finalement obtenu que ces génisses soient conduites dans un abattoir turc. Animal’s Angels, dans un communiqué, déplore un manque de soutien de la part des autorités compétentes : « les mesures prises sont restées totalement insuffisantes ».
Une réglementation bafouée
Les animaux ont dû rester à bord des camions pendant 15 jours.
Animal Welfare Foundation
Entre temps, ces animaux auraient été déchargés dans les étables à l’intérieur de la frontière mais seraient remontés dans les fourgonnettes peu de temps après, du 2 au 15 octobre 2024. Le calcul est rapide : « Les animaux ont dû rester à bord des camions pendant 15 jours », déplore Animal Welfare Foundation. Une infraction à la réglementation, puisque l’UE impose une durée maximale de transport de 29 heures pour les bovins. Au-delà, les animaux doivent être déchargés et mis à l’abri.
Lorsque les génisses sont remontées dans les camions, l’État de Brandebourg aurait ordonné au transporteur et à l’organisateur l’euthanasie des animaux afin « d’abréger [leurs] souffrances », se justifie le BMEL. Animal Welfare Foundation et Animals’ Angel, intervenues sur place, évoquent une véritable « tragédie ».
Une vache encore vivante au milieu des cadavres
Les survivants ont été déchargés dans un abattoir d'Edirne, dont certains, affaiblis, sont tombés « brutalement sur le sol en béton », indique le rapport. Ils ont été abattus le lendemain.
Les cadavres sont quant à eux restés dans les camions, pour être transportés dans « une décharge », selon Animals’s Angel. « Le pire dans cette histoire est qu’une des vaches était toujours vivante dans le camion, allongée entre tous les animaux morts, relate Iris Baumgärtner. Nos équipes ont été alertées par des meuglements. En découvrant qu’elle bougeait encore, la police a interrompu le déchargement et a permis au chauffeur d'abattre la vache à l’aide d’un pistolet à verrou captif. » Choquée, la directrice des opérations affirme « utiliser tous ces arguments contre la Commission européenne pour réclamer des mesures claires et exécutoires afin que cette situation ne se reproduise plus ».
Une provenance qui interroge
Nous devons enfin trouver une solution efficace, et ce à l'échelle de l'Union européenne
Cem Özdemir, ministre fédéral
Cette affaire révèle de nombreuses lacunes législatives, à l’échelle nationale et européenne. L’origine même de ces génisses s’avère pour le moins surprenante puisque le gouvernement allemand a restreint, en juillet 2023, les transports d’animaux vivants en dehors des pays membres de l’Union européenne. « J'ai retiré les certificats vétérinaires nécessaires pour les exportations vers les pays tiers, mais il reste des lacunes et des possibilités auxquelles nous ne pouvons rien faire seuls au niveau national », s’est exprimé le ministre fédéral Cem Özdemir à propos des transports de longue distance.
Car, en Allemagne, l’application des réglementations relatives au bien-être animal revient à la responsabilité des « Lander » [Etats fédéraux allemands], comme le veut la Loi fondamentale de la Constitution allemande. En revanche, « des changements fondamentaux tels que l'interdiction des transports de longue distance vers des pays tiers ne peuvent être effectués qu'au niveau de l'UE », souligne le ministère allemand. « Nous devons enfin trouver une solution efficace, et ce à l'échelle de l'Union européenne », insiste Cem Özdemir.
« Depuis des années, nous demandons une interdiction européenne des exportations d’animaux vers la Turquie. Il est temps que l’Allemagne pèse son poids auprès de la Commission européenne afin d’imposer des restrictions strictes et un contrôle des transports », conclut Iris Baumgärtner.
La Fondation 30 Millions d’Amis maintient la pression auprès des instances européennes
La Fondation 30 Millions d’Amis condamne fermement ces conditions, dans lesquelles ont agonisé ces animaux, traités, selon les conclusions du rapport, dans une indifférence cruelle. « Nous faisons face, une fois de plus, à la réalité catastrophique du transport d’animaux hors de l’Union européenne. Sur cette route, les bovins se retrouvent pris en otages et bloqués à la frontière turque, condamnés aux pires souffrances », a réagi Reha Hutin, Présidente de la Fondation 30 Millions d’Amis.
En décembre 2023, la Commission européenne a présenté une révision du règlement sur les transports d’animaux. Un an après, les discussions sont toujours en cours. À ce titre, la Fondation 30 Millions d'Amis a rencontré en novembre 2024 l'eurodéputée Tilly Metz, rapporteure du règlement relatif au transport des animaux du Parlement européen, pour affiner ces propositions et réaffirmer ses attentes, qui font l'objet d'une pétition receuillant, à ce jour plus de 47.000 signatures. « Il est grand temps que la Commission européenne encadre le transport d’animaux et interdise, une bonne fois pour toute, les d’exportations hors UE », a déclaré Reha Hutin, Présidente de la Fondation 30 Millions d’Amis.
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