Forger une nouvelle génération de chasseurs, quitte à causer de graves traumatismes. ©Adobe Stock
Une proposition de réforme de la législation visant à interdire la participation active ou passive des mineurs à la chasse a été couronnée du prix Jules-Michelet, dans le cadre du Diplôme universitaire (DU) en Droit animalier de l'Université de Limoges (Haute-Vienne), parrainé par la Fondation 30 Millions d'Amis.
Une belle consécration ! En septembre 2020, la Fondation 30 Millions d'Amis et l'Université de Limoges (87) ont remis leurs diplômes aux étudiants de la 7e session et de la 8e session du Diplôme Universitaire de Droit animalier. La cérémonie a été suivie de la remise du prix Jules-Michelet, dont le jury récompense les meilleures propositions d'améliorations des règles de protection animale.
Beaucoup de chasseurs emmènent leur enfant très jeune à la chasse, dès l'âge de 3 ou 4 ans.
Hélène Barbry
Parmi les étudiants fraîchement diplômés, Hélène Barbry est l'heureuse lauréate du 7e Prix Jules Michelet pour sa proposition de loi concernant « l'interdiction de la participation active ou passive des mineurs à la chasse »*. « J'en suis vraiment touchée, confie la jeune femme à 30millionsdamis.fr. C'est une reconnaissance du travail accompli. Cela donne aussi une forme de légitimité, qui est parfois difficile à avoir dans [ce] domaine. On nous reproche souvent de nous préoccuper des animaux mais pas des humains. Alors qu'en vérité, tout est lié ! »
Parfaite illustration du lien étroit unissant la protection des animaux et celle des humains, la proposition de loi formulée par la jeune juriste met en lumière un fléau aussi répandu que méconnu. C'est en assistant à un colloque à l'Assemblée nationale (« La protection de l'enfance contre toutes les formes de violences », 17/10/2019) que l'ancienne ingénieure du son a eu le déclic. « Je me suis mise à chercher sur internet, notamment sur les forums, se souvient-elle. J'ai découvert que beaucoup de chasseurs emmènent leur enfant très jeune à la chasse, dès l'âge de 3 ou 4 ans. »
La lauréate précise sa pensée et dévoile un fléau méconnu. ©30 Millions d'Amis
Je trouve ça incroyable qu'en France, à 16 ans, on puisse aller chasser tout seul avec son fusil en forêt !
Hélène Barbry
Si la pratique de la chasse est réservée aux individus détenteurs d'un « permis de chasser valable » (art. L-423-1 et L-423-11 du Code de l'environnement), qui peut être obtenu dès l'âge de 16 ans, rien ne s'oppose à la participation dite « passive » des enfants – quel que soit leur âge – à la chasse. « Demain, vous allez en forêt avec votre enfant dans les bras. Vous tirez. Aucune loi ne pourra vous sanctionner, dénonce Hélène Barbry. Vous avez parfaitement le droit d'amener votre enfant à la chasse. » Chasse à l'arc, au fusil, piégeage, vénerie sous terre (déterrage des blaireaux et des renards), chasse à courre... Autant de pratiques cruelles dont l'enfant peut donc, en toute légalité, se retrouver spectateur.
Dès 15 ans, les mineurs peuvent également prendre part à ce triste "loisir" de façon pleinement active, en passant le permis de « chasse accompagnée ». « [Ce permis] permet d'aller à la chasse avec une personne titulaire du permis de chasse, d'avoir un fusil pour deux, et de tirer », précise la juriste. Le tout jeune chasseur peut ainsi s'entraîner en vue d'obtenir, l'année suivante, son permis définitif. Il sera alors libre de ses actes... et sans aucun contrôle. « Je trouve ça incroyable qu'en France, à 16 ans, on puisse aller chasser tout seul avec son fusil en forêt, alors qu'on ne peut pas conduire seul ! », fustige la jeune femme.
Plus un enfant est jeune et inexpérimenté, plus il va commettre des erreurs d'identification.
Hélène Barbry
Comble de l'horreur, des enfants encore plus jeunes – parfois dès 3 ou 4 ans – peuvent eux-aussi contribuer activement à la chasse... à condition toutefois de ne pas effectuer ce qui, aux yeux de la loi, constituerait un « acte de chasse ». Or, ainsi que le souligne la juriste dans son texte, ne constituent pas des actes de chasse « la recherche d'un animal blessé ou le contrôle du résultat d'un tir sur un animal », ni « la curée », ni même... le fait « d'achever un animal mortellement blessé ou aux abois » ! (art. L420-3 du Code de l'environnement).
L'enfant se trouvant confronté à cette violence tôt dans son développement, plusieurs types de séquelles seraient à craindre. « [En étudiant] les enfants acteurs ou spectateurs de violence envers les animaux, on remarque souvent une baisse d'empathie, une baisse de sensibilité et un détachement par rapport à la violence, explique Hélène Barbry. De cette violence-là peut découler une violence causée à des êtres humains. » De profonds traumatismes peuvent également résulter de leur présence lors d'accidents de chasse... à l'issue parfois mortelle. A l'instar d'un garçon de 12 ans, qui a vu son demi-frère de 16 ans mourir devant lui, victime d'une mauvaise manipulation de son fusil (27/09/2020).
La participation des mineurs à la chasse affecte en premier lieu les animaux, qui en sont bien sûr les victimes directes. Inéluctablement, l'entraînement des jeunes recrues se fait au prix de la souffrance de leurs cibles vivantes. « Déjà, quand il s'agit d'adultes chasseurs, il y a beaucoup de "ratés" », glisse Hélène Barbry, citant l'Association Nationale des Chasseurs de Grand Gibier (ANCGG) selon laquelle « 10 à 20 % des animaux tirés sont blessés et ne sont pas recherchés ou le sont mal ». « Plus un enfant est jeune et inexpérimenté, plus il va commettre des erreurs d'identification, ajoute la jeune femme. Sur des forums, par exemple, il y a des enfants qui hésitent entre des corbeaux et des faisans ! »
Le lobby pro-chasse organise des activités avec les enfants, telles que des battues sans armes.
Hélène Barbry
Nonobstant ces conséquences désastreuses, la chasse reste accessible aux plus jeunes. Hélène Barbry voit dans cette incohérence l'influence du lobby cynégétique, confronté à la diminution du vivier de chasseurs en France ces dernières années. Ainsi, entre 1975 et 2016, le nombre de validations du permis de chasse a été divisé par deux ! « Il y a de plus en plus de lobbying auprès des écoles et des lycées, parce qu'ils veulent voir le nombre de chasseurs augmenter et qu'ils craignent une "perte de descendance", constate la juriste. Il y a même des activités organisées avec les enfants, telles que des battues sans armes. »
Proposée dans une poignée de lycées français, l'option « chasse » au baccalauréat procèderait de la même tentative, celle de forger une nouvelle génération d'adeptes de la gâchette. « La présence des enfants est très importante pour la Fédération nationale des chasseurs, il suffit de regarder son logo : il s'agit d'un adulte armé d'un fusil, suivi d'un enfant qui porte un arc, pointe Hélène Barbry. Quand on regarde des journaux de chasseurs et de piégeurs, il est fréquent de voir des enfants tenant des renards piégés et ensanglantés, des enfants en tenue de chasse ou portant des accessoires. »
Le droit de l'enfant va prévaloir face à la liberté des chasseurs d'amener leur enfant avec eux.
Hélène Barbry
Si la France persiste à confronter les mineurs à la violence de la chasse, d'autres pays tels que la Belgique, la Suisse, les Pays-Bas ou encore certaines régions d'Argentine ont en revanche limité la délivrance du permis de chasse aux majeurs. « Deux libertés sont mises en balance : d'un côté, la liberté d'amener ses enfants et de les faire participer à des activités, et de l'autre, la protection de l'enfance, argumente Hélène Barbry. Auprès de la Cour européenne des Droits de l'Homme, ou de la Cour de Justice de l'U.E., je pense que le droit de l'enfant va prévaloir face à la liberté des chasseurs d'amener leur enfant avec eux. »
Ainsi, le dilemme pourrait se traduire au travers de situations concrètes. « Prenons le cas de parents divorcés. Par exemple, une mère qui s'opposerait à ce que son ex-mari amène leur jeune enfant à la chasse, illustre la juriste. [Elle] pourrait déposer une plainte puis, si elle perd devant la justice française, faire un recours devant la Cour européenne. » La décision finale pourrait alors se fonder sur les conventions et lois qui protègent l'enfant, ce qui conduirait alors – in fine – à une avancée au niveau législatif.
Forte de la consécration apportée par le prix Jules-Michelet, Hélène Barbry entame à présent sa 5e année d'études en Droit international de l'environnement comparé. « J'aimerais arriver, à ma petite échelle, à faire changer les choses aussi bien au niveau de l'environnement que de la cause animale », confie la jeune femme, qui se verrait bien « travailler pour le service juridique d'une association » et pourquoi pas, « dans 10 ans, ouvrir un refuge pour animaux ».
*La proposition de réforme vise à supprimer l’article L423-2 du Code de l’environnement (instituant le principe de la chasse accompagnée dès l’âge de 15 ans) ainsi qu’à modifier les articles suivants : L423-1, L423-11, L423-15 et L428-15 du Code de l’Environnement. De plus, un article L423-28 y serait inséré : « La présence d’un mineur lors d’une partie de chasse est interdite ». Enfin, l’arrêté du 29 janvier 2007 relatif au piégeage des animaux classés « nuisibles » serait modifié, notamment par l’ajout de l’article suivant : « La pose et le relevé des pièges ne peuvent en aucun cas être effectués par ou en présence d’un mineur ».
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