Fondation 30 Millions d’Amis : Vous défaites le mythe de la vache sacrée. Quel est le véritable statut de la vache en Inde ?
Florence Burgat : L'idée que la vache ait été sacrée, dans un lointain passé, n'est pas acquise. N'oublions pas que l'hindouisme ancien comprend des sacrifices animaux dont les bovins n'étaient d’ailleurs pas exclus. C'est dans l'hindouisme tardif que cette idée apparaît, mais il ne faut pas se laisser piéger par le terme « sacré ». Les vaches étaient objet de soins et de protection à une époque où elle donnait à une famille du lait, de la bouse qui, séchée, servait - et sert encore dans les campagnes - de combustible, etc. Elle travaillait la terre et, à sa mort, on prélevait ses cornes et ses sabots ; elle était plus précieuse vivante que morte. Les bovins n'ont pas d'abord été des animaux de boucherie ; il faut donc replacer cette idée dans son contexte. Malgré les efforts de Gandhi pour mobiliser les hindous pour la protection effective des bovins et proscrire leur abattage, l'Inde est devenue en 2012 le premier exportateur mondial de viande bovine. Cette information suffit à montrer que le caractère sacré des vaches est une croyance bonne pour les touristes.
F30MA : Vous avez visité de nombreux refuges et hôpitaux pour animaux. Quelles impressions avez-vous gardées de ces organismes et de leur travail ?
F B. : Ces refuges sont souvent misérables. Gandhi le déplorait déjà. Les raisons tiennent à la faiblesse des moyens, à des compétences parfois insuffisantes et à une certaine incurie. Il y a bien sûr de remarquables contre-exemples. A la fin des années 1990, certaines municipalités avaient accepté de mettre fin à l’électrocution massive des chiens errants et de passer un accord avec les associations de défense des animaux, qui avaient pu montrer, chiffres à l’appui, que ces rafles n’avaient eu aucun impact sur le nombre de chiens. Les services municipaux continuèrent de capturer les chiens, mais pour les conduire dans les associations ayant mis en œuvre l’ABC Programm (Animal Birth Control Programm) ; celui-ci consiste dans la stérilisation et la vaccination contre la rage les chiens errants, qui sont ensuite replacés sur leur territoire urbain car leur rôle de nettoyeur est apprécié : ils se nourrissent dans les poubelles. Les chirurgies se font ici ou là dans de si mauvaises conditions que l’on m’a parlé d’un taux de mortalité de la moitié des chiens… J'ai visité quelques endroits qui démentent ces propos et qui m'ont laissé une immense impression de paix : le refuge Pinjrapole de Bombay, qui recueille les vaches abandonnées et d’autres animaux, la SPCA (Society for the prevention of cruelty to animals) de Bombay, ou encore
l’association Frendicoes à New Delhi (aidée par la Fondation 30 Millions d’Amis en 2010, NDLR).