Selon une étude publiée en décembre 2008 par le magazine Science, la captivité fragiliserait la santé des éléphants et remettrait en question la préservation de l'espèce en zoo. Une analyse controversée.
Selon une étude publiée en décembre 2008 par le magazine Science, la captivité fragiliserait la santé des éléphants et remettrait en question la préservation de l'espèce en zoo. Une analyse controversée.

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Les docteur Ros Clubb et Georgia J. Mason n'en sont pas à leur premier coup d'essai contre le maintien d'espèces sauvages en captivité. La Brit
annique Ros Clubb appartient à la Royal Society for the Prevention of Cruelty to
Animals (la RSPCA, l'équivalent de la SPA en
Angleterre) et la C
anadienne Georgia J. Mason, professeur et chercheur à l'université de Guelph, est réputée pour ses travaux sur la stéréotypie (comportements compulsifs liés au stress de l'enfermement).
Deux cartes de visites de choix pour une étude tent
ant de démontrer que les éléph
ants, contrairement à l'idée communément rép
andue, meurent prématurément d
ans les zoos. La réaction des spécialistes ne s'est pas faite attendre. Le directeur-adjoint du zoo de Lyon, Je
an-Marc Touzet, fait simplement remarquer que
"Le Jardin Zoologique de la ville possède actuellement trois éléphants d'Asie qui proviennent de cirques. La plus âgée, Java, a aujourd'hui 64 ans, ce qui en fait l'éléphante d'Asie la plus âgée d'Europe. Les deux autres, Baby et Népal ont aujourd'hui 39 ans. Le zoo de Lyon fonctionne comme un centre de récupération pour ces animaux".

De son côté,
Florence Ollivet-Courtois, docteur vétérinaire spécialiste des
animaux sauvages et exotiques, prend elle aussi ses dist
ances par rapports à l'étude effectuée par ses consoeurs et livre ses conclusions à la Fondation 30 Millions d'Amis.
Fondation 30 Millions d'Amis : Avec quelles précautions faut-il lire cette étude ?
Florence Ollivet-Courtois : Ce document est très fouillé et met le doigt sur certaines réalités de la population d'éléph
ants en captivité comme l'obésité, les carences en vitamine E, les expériences sociales des
animaux... Cepend
ant, ces réalités sont déjà connues et les soigneurs y travaillent quotidiennement. On ne ch
ange pas un enclos d'éléph
ants comme un enclos de suricates. Tous les travaux posent le problème du placement temporaire des
animaux, le problème fin
ancier... et le problème du ch
angement d'état d'esprit des professionnels. Derrière les chiffres présentés, certaines conclusions m
anquent clairement d'objectivité scientifique et ressemblent plus à une profession de foi.
Le problème le plus frapp
ant de cette étude est qu'elle est basée sur des données vieilles de 10
ans. Je devine s
ans peine que le décalage d
ans le temps entre l'écriture et la publication est import
ant, né
anmoins cela fait croire au lecteur que ce qui a été publié en 2009 est encore d'actualité. Or c'est inexact. Ces dix dernières
années, le nombre de structures zoologiques ay
ant ab
andonné le "free contact" (le contact direct des soigneurs avec les
animaux requér
ant un dressage préalable dite "cass
ante") est considérable. L'insémination artificielle s'est rép
andue en Europe et aux Etats-Unis et les recomm
andations des pl
ans d'élevage ont ch
angé qu
ant aux mouvements des
animaux, privilégi
ant le mouvement des mâles plutôt que celui des femelles.
F30MA : Faut-il considérer que certaines données sont fausses ?
F. O.-C. : Le rapport souligne que le zoo de Paris a du succès en reproduction alors que le zoo a renoncé aux éléph
ants depuis 2005, considér
ant qu'il ne pouvait offrir de structure adéquate aux pachydermes. La dernière naiss
ance à Paris a eu lieu en 1998. Qu
ant au plus vieil éléph
ant détenu en captivité en Europe, il a 64
ans et non 56, c'est une femelle baptisée Java qui vit au zoo de Lyon.
D'autre part, le rapport lui-même précise que la comparaison des données entre celles recueillies d
ans le milieu naturel et celles recueillies en milieu captif n'est scientifiquement pas possible du fait de la disparité de la base de données. Cela ne l'empêche pas de reprendre qu
and même ces chiffres pour établir ses conclusions et ses recomm
andations. Parfois les auteurs se contentent de comparer les données des éléph
ants d'Asie en zoo et en champs de bûcheronnage dont les données sont plus vérifiables. Cepend
ant, ces camps capturent des éléph
ants en milieu naturel et font saillir leurs femelles par des éléph
ants sauvages ce qui ch
ange énormément la donne par rapport à la notion de captivité et de vie sauvage, de cons
anguinité aussi. Il est curieux que les auteurs n'aient pas fait le rapprochement entre les
animaux qui vivent plus vieux d
ans les camps et les méthodes de dressage très drastiques qui s'y pratiquent !
F30MA : Quelles autres bizarreries scientifiques peut-on relever dans cette étude ?
F. O.-C. : Les données nutritionnelles en captivité sont comparées aux recomm
andations faites aux chevaux, ce qui est, effectivement, notre pratique. Des
anomalies apparaissent. Nous en avons conscience, mais il nous faut faire une différence entre la ration offerte et la ration effectivement consommée, et les
analyses nutritionnelles des fourrages et des aliments frais distribués qui sont extrêmement variables. Une
analyse scientifique du problème aurait dû faire le même rapprochement entre les rations consommées d
ans la nature et ces mêmes recomm
andations nutritionnelles équines. On s'apercevrait très probablement que les
animaux d
ans la nature ne connaissent pas ces recomm
andations ! En effet, il n'existe aucune sagesse alimentaire innée : les régimes alimentaires sont des comportements acquis. Si la forêt fait défaut et si des cultures sont faciles d'accès, les éléph
ants iront consommer un régime théoriquement considéré comme inadéquat.
F30MA : Il n'est pas possible de comparer les animaux élevés en captivité et ceux restés en milieu naturel ?
F. O.-C. : L'étude précise que les
animaux capturés d
ans la nature, et donc viv
ants en captivité, vivent plus vieux que les
animaux nés en captivité. L'étude en conclue que la captivité est néfaste. Or cette conclusion est erronée et ne pose pas les véritables raisons de ce problème. Par ailleurs, l'étude conclue sur la nécessité de faire cesser la reproduction d
ans les zoos alors que c'est un élément d'enrichissement du milieu des
animaux en captivité reconnu comme contribu
ant à leur bien-être !
F30MA : En quoi la captivité est-elle justifiable ?
F. O.-C. : L'étude rappelle que les éléph
ants d'Asie étaient 100 000 au début du XXème siècle, ils sont vingt fois moins nombreux aujourd'hui ; que les éléph
ants d'Afrique que l'on estimait à 5 000 000 en 1940 ne sont plus que 300 000 aujourd'hui... Et on ose nous affirmer que l'espér
ance de vie est plus longue en milieu naturel !? Des biais statistiques rongent cette étude : les données d
ans le milieu naturel portent sur de toutes petites populations, les âges sont estimés sur des carcasses. Or ces approximations contrastent avec les données très sûres des pl
ans d'élevage.
Bien sûr que la captivité n'est pas LA solution idéale ! Mais c'est une solution parmi d'autres pour préserver des espèces menacées. Si l'on tient vraiment à défendre la survie des
animaux en milieu sauvage, il faut considérer deux choses : leur proximité de plus en plus gr
ande avec l'homme, parce que les terres ne sont pas extensibles, et la préservation de leur habitat que nous détruisons un peu plus tous les jours.
chypie2B 10/01/2009 à 13:06:14