Il est devenu l’animal emblématique de cette fin d’année 2025. Le loup – qui continue d’alimenter les débats en France – s’impose en vedette dans la nouvelle publicité d’Intermarché. La Fondation 30 Millions d’Amis s’est interrogée sur la raison de cet engouement fulgurant qui s’est propagé bien au-delà de nos frontières.
Comme tout le monde, on a A.D.O.R.É ! ! Avec son milliard de vues atteint à l’international, le dernier spot publicitaire d’Intermarché a fait du loup l’animal coqueluche de cette fin 2025. Longtemps dépeint comme un être effrayant dans la culture populaire, deux minutes auront suffi à le faire revenir positivement sur le devant de la scène à la faveur d’une animation attendrissante, reprenant les codes du conte pour enfants, le tout sur le célèbre standard de Claude François, « Le mal aimé » !
Dans ce long format publicitaire, le loup est effectivement rejeté par les autres animaux de la forêt. Pour se faire une place parmi eux et participer au festin commun, il apprend à se nourrir exclusivement de fruits, de légumes (et de poisson), s’exerçant aux recettes « végétariennes ».
Alors, comment expliquer l’incroyable succès fulgurant de cette publicité, réalisée sans intelligence-artificielle par un studio d’animation français ?
Reprise de l’imaginaire de l’enfant
Intermarché n’en est pas à son premier coup d’essai. « Ce format fait partie d’une tradition publicitaire d’Intermarché qui, contrairement à d’autres marques, n’a jamais changé de positionnement en plus de dix ans [« Mieux manger » : ndlr]. Et cette année c’est l’apothéose ! remarque Raphael Llorca, codirecteur de l'Observatoire "Marques, imaginaires de consommation et Politique" à la Fondation Jean Jaurès. Cette pub émeut et participe à la bienveillance avec une vraie chartre d’animation qui reprend l’imaginaire de l’enfance. »
Car, dès les premières minutes du spot, un enfant se retrouve directement plongé dans l’univers des animaux de la forêt. Apeuré par une peluche représentant un loup lors d’un repas de Noël, un adulte tente de redorer l’image de l’animal par le récit. Commence ainsi l’histoire de ce loup en marge des autres animaux de la forêt, et qui parvient à s’intégrer à la communauté. Une animation que l’on peut « comparer au monde de Disney ou de Pixar, souligne Bénédicte Laurent, experte en stratégie de marques et docteure en linguistique. C’est une publicité inattendue où l’on met un temps à identifier l’annonceur ». Effet garanti pour capter l’attention d’un large public ! « Les publicités qui témoignent le plus de succès sont celles qui ne présentent pas directement la marque ou le produit à vendre, ajoute Emmanuelle Fantin, maitresse de conférences à la Sorbonne-Université de. Ce spot est une prétention à divertir, et l'euphémisation du motif publicitaire a été brillamment pensé ! »
Réussir à attendrir la figure du loup…
Qui dit conte pour enfants… dit anthropomorphisme. « Il y a ici un trait archétype de la forêt, avec une représentation idéalisée et où – comme toute publicité - le problème exposédisparait à la fin du spot. En l’occurrence, ce loup parvient à rejoindre les autres animaux lors du repas commun », explique Emmanuelle Fantin à 30millionsdamis.fr. Car si le loup est représenté comme un être isolé et craint par les habitants de la forêt, ce personnage parvient néanmoins à s’intégrer à la fin de la publicité. « Ici, la figure du loup renvoie à l’imaginaire fragmenté entre la peuretun air plus affectueux que l’on retrouve aujourd’hui avec les nouvelles œuvres culturelles à destination de la jeunesse, telles que la collection « P’tit loup », analyse E. Fantin, également chercheuse au GRIPIC (Groupe de recherches interdisciplinaires sur les processus d'information et de communication). Les créateurs de cette publicité ont réussi à jouer sur ces deux aspects. »
Le loup renvoie à l’imaginaire fragmenté entre la peuret un air plus affectueux.
E. Fantin, Maitresse de conférences Sorbonne-Universités
En clair – pour transmettre son message – l’animation emprunte la mauvaise réputation donnée au loup depuis des décennies, pour la faire évoluer. Car depuis des siècles, l’espèce canis lupus représente la menace et le danger dans les contes populaires. En témoignent les œuvres littéraires du Petit Chaperon Rouge, les fables d’Esope ou encore le jeu du Loup Garou dans la société moderne. « Intermarché joue sur cet imaginaire inscrit dans les consciences collectives, ajoute Raphael Llorca . En l’occurrence, nous avons affaire à un loup isolé car il mange les autres animaux et les créateurs du spot parviennent à transformer cet état initial... » Et le public applaudit !
…sans parvenir à redorer l’image de l’espèce
Cette publicité peut-elle parvenir à mettre (enfin) la mauvaise réputation du loup au placard ? Pour les experts en communication, la réponse est unanime : « Non, la perception du loup ne va pas changer car un spot publicitaire, même à succès, ne suffit pas, affirme Dominique Wolton, sociologue et Directeur de Recherche au CNRS, joint par 30millionsdamis.fr. L’imaginaire autour du loup est trop ancestral. » Cette animation « instaure seulement une brèche », complète Raphael Llorca. «La mythologie autour du loup reste très importante et a inspiré des dizaines de productions contemporaines. Une publicité ne remplacera jamais cet imaginaire. »
Pour Bénédicte Laurent, le ressort artificiel d’un loup qui succomberait au végétarisme ne convainc pas : « On peut s’interroger sur cette image du loup qui, pour s’intégrer aux autres animaux de la forêt, devient végétarien, observe l'experte en stratégie de marques. Cela veut donc signifier que, pour être réhabilité, le loup doit renoncer à son identité ? ». Cette allusion au végétarisme « rappelle qu’une alimentation végétarienne s’est imposée dans la société moderne. Si même le loup se met à son tour à privilégier une alimentation décarnée, cela montre que la transition à une alimentation végétale est en bonne voie », nuance de son côté Raphael Llorca.
En résumé, cette publicité aura réussi la prouesse de fédérer un très large public par-delà les frontières en réhabilitant – même ponctuellement – un animal qui suscite la défiance, sans pour autant modifier durablement son image dans l’imaginaire collectif. Quant à "la magie de Noël" à laquelle renvoie cette réussite hors du commun dans l’univers de la communication, celle-ci s’est dissipée : depuis quelques jours, l’auteur de l’ouvrage Un Noël pour le loup (Seuil Jeunesse, 2017) accuse l’enseigne de supermarché de supercherie et de plagiat… Ne dit-on pas que l’homme est un loup pour l’homme ?
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