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Ces éleveurs qui changent d’activité pour épargner des animaux

Madeleine et son mari, éleveurs dans l’Ain, arrêteront leur activité de bergers fromagers fin 2025. /©Co&xister

En Suisse, comme en France, ils sont plusieurs éleveurs à ne plus supporter d’envoyer leurs animaux à l’abattoir. Grâce à l’association helvétique Co&xister, certains ont pu prendre le chemin de la reconversion professionnelle. 30millionsdamis.fr a échangé avec certains d’entre eux.

« Maintenant c’est terminé, je ne tue plus les animaux ! » En 2021, Stéphane, alors éleveur depuis une quinzaine d’années en Suisse romande, prend une décision radicale. Ce dernier gérait une micro-ferme avec 4 vaches, une quinzaine de chèvres, 3 cochons, des lapins et des poules. Le moment de l’abattage des animaux le perturbait déjà depuis quelques temps. Puis la goutte de trop est arrivée…

« Ils me regardaient depuis le dessous de la barrière… » 

« Un jour, quand j’ai dû amener mes cochons dans un abattoir industriel, ç’a été une catastrophe, se remémore-t-il pour 30millionsdamis.fr. J’ai déchargé mes 3 cochons, et sur les 297 qu’il y avait déjà à l’intérieur, je n’entendais que les miens. J’ai dit maintenant c’est terminé, je ne tue plus les animaux, je ne pouvais plus. Je voyais ces cochons qui me regardaient depuis le dessous de la barrière… »

Stéphane, éleveur en Suisse, ne supportait plus d’emmener ses animaux vers l’abattoir. /©Stéphane

Un changement de vie forcé par son déclic éthique venu balayer des années de doutes durant lesquelles il se demandait pourquoi il faisait ça. Jusqu’à comprendre qu’il s’était trop attaché à ses bêtes pour les envoyer à la mort. Durant les mois suivant sa prise de conscience, l’une de ses vaches, Réglisse, meurt dans ses bras au pré. Stéphane prend un deuxième engagement : « Non seulement je ne tue plus les animaux, mais je vais aussi les placer ! » Il entend parler plusieurs fois de l’association Co&xister dans les médias, un sanctuaire pour animaux de ferme en Suisse. Pour lui, c’est un signe. Il appelle donc la fondatrice et présidente de la structure, Virginia Markus.

« Ici il y a une quarantaine d’animaux qui restent sur place à l’année, détaille Virginia Markus, contactée par 30millionsdamis.fr On accueille essentiellement des cochons, des bovins et des moutons. On aide aussi à replacer des animaux qui échappent à l’abattoir (1100 depuis 2018). » Son sanctuaire permet de montrer qu’une coexistence inter-espèces est possible avec ces animaux qui en principe, sont utilisés pour la production de viande, de lait, etc…

Virginia Markus a ouvert son sanctuaire pour animaux de ferme en 2019. /©Co&xister

13 éleveurs reconvertis en 4 ans grâce à l’association Co&xister

Depuis 2021, elle accompagne les éleveurs qui veulent arrêter l’exploitation d’animaux et se reconvertir. 20 personnes l’ont déjà contactée en 4 ans pour réfléchir ou entamer une reconversion professionnelle. En 2024, le champ d’horizon de l’association Co&xister s’élargit à la France, avec déjà 3 projets menés à terme, et 5 autres en cours. « Aujourd’hui, il y a une conjoncture économique et éthique qui pousse les agriculteurs à réfléchir à d’autres voies, remarque-t-elle. Des personnes travaillant dans l’exploitation animale qui se remettent en question, pas uniquement des éleveurs, ça peut être aussi des employés d’abattoir, des bouchers, des employés agricoles, etc… »

 

« Pour effectuer ce travail d’accompagnement, il faut sincèrement comprendre la réalité des agriculteurs. »

Virginia Markus, Co&xister

De leur côté, Stéphane et son épouse, qui ont décidé de raccrocher pour des raisons éthiques, prennent alors rendez-vous avec Virginia. « On y est allés, on s’est assis dans l’herbe, on a discuté pendant 3 heures », explique-t-il à 30millionsdamis.fr. Le futur ex-éleveur confie à son interlocutrice les 2 vaches qu’il lui reste et entame avec elle un plan de reconversion. « Pour effectuer ce travail d’accompagnement, il faut sincèrement comprendre la réalité des agriculteurs. On ne peut pas venir avec des feuilles sur lesquelles on note des choses pour leur dire ce qu’ils doivent faire, insiste Virginia. Celle qui gère son sanctuaire depuis 2019 a suivi des cours et est en train de faire valider ses acquis pour avoir un diplôme d’agricultrice.

« On doit les écouter. Ils ont besoin de ça, d’être entendus et compris. Je ne me serais pas permise de les accompagner si je ne connaissais pas le milieu agricole, les animaux de rente etc. Je ne me serais pas sentie légitime. Le fait qu’ils viennent voir comment je m’occupe des animaux, qu’ils sentent que je sais de quoi je parle quand on échange sur l’agriculture, ça leur donne davantage de confiance », poursuit-elle.

D’éleveur à boulanger… végétal 

Pour sa reconversion, Stéphane a déjà une idée en tête, retrouver son ancien métier : boulanger. Mais il y a un hic. « Virginia me fait remarquer que d’arrêter de tuer des bêtes c’est bien, mais si d’un autre côté on utilise du jambon d’un autre cochon, ce n’est pas très cohérent, explique-t-il. Là je me dis qu’elle a totalement raison. » Germe donc l’idée d’ouvrir une boulangerie… végétale ! En l’espace de 8 mois, la petite équipe fait des tests et met au point des produits. « À travers mon livre d’apprentissage en boulangerie vieux de 30 ans, j’ai adapté les recettes d’époque au mode végétalien. On a remplacé les œufs par du yumgo, le lait de vache par du lait d’avoine ou des mélanges de laits végétaux qu’on trouve sur le marché, et le beurre par des margarines végétales sans huile de palme. »

Stéphane, désormais ex-éleveur, a ouvert une boulangerie végétale en 2022. Il reçoit ici la visite de Virginia Markus. /©Stéphane

Virginia se charge en parallèle, de la publicité de la future boulangerie en trouvant des partenaires, des fonds, des événements pour que Stéphane et sa compagne puissent se faire connaitre. Et le 1er octobre 2022, la nouvelle vie du couple de désormais « ex-éleveurs » (devenus au passage, végétaliens à 99 %) peut enfin commencer. La boulangerie végétale « Aux pains sans peines » ouvre ses portes !

Créer son propre sanctuaire, ça se prépare !

Dans les reconversions qu’accompagne Virginia, il y a ceux qui font un revirement complet et d’autres qui souhaitent conserver le contact avec les animaux. Alors plusieurs options s’offrent à eux, dont celle de créer eux-mêmes un sanctuaire. Mais attention, pour se lancer dans une telle aventure, il faut être bien préparé pour ne pas tomber dans un engrenage où l’on accueille toujours plus d’animaux sans forcément avoir les ressources nécessaires pour subvenir à leurs besoins. Et également être inventif afin de réunir assez d’argent pour faire vivre le lieu.

La fondatrice de Co&xister a commencé à donner des formations aux personnes intéressées afin qu’elles comprennent bien l’ampleur administrative et logistique qu’il faudra mettre en place. En plus de la communication sur les réseaux sociaux, « il va falloir créer des activités pédagogiques, touristiques, culinaires sur place qui seront rémunératrices, explique-t-elle. Il est nécessaire de développer des soutiens de différents horizons, ne pas compter que sur les donations privées mais imaginer, par exemple, créer des partenariats avec certaines entreprises qui partagent les mêmes valeurs. »

En somme, accumuler assez de moyens pour aménager au mieux le sanctuaire et régler les divers frais de nourriture, litières, vétérinaires, assurances, eau, électricité, etc… « Le but du sanctuaire, ce n’est pas seulement de sauver les animaux, c’est aussi de pouvoir sensibiliser les gens, ajoute Virginia, très vigilante sur la faisabilité de chaque projet. Je m'évertue à sensibiliser chaque personne qui se lance dans un projet similaire sur l'importance de la viabilité financière avant de démarrer l'aventure. »

Madeleine et Olivier, éleveurs dans l’Ain, se sont sentis emprisonnés dans le système du « toujours plus de production ». ©TerredeRêves

Pour ces bergers français, faire du lait avec les brebis, c'est terminé

Dans l'Ain, en France, Madeleine fait partie des 8 éleveurs français qui ont contacté l'association Co&xister pour cesser l'exploitation animale. Et aussi de ceux qui ont osé se lancer dans la création d'un sanctuaire. Avec son mari Olivier, ils sont bergers fromagers en agriculture biologique depuis 7 ans, entourés de leurs troupeaux de brebis. Une première expérience pour eux dans le secteur agricole, avec déjà l'idée de garder leurs brebis de réforme pour leur offrir une paisible retraite (dans les élevages, les réformées sont en général tuées car considérées comme improductives). Mais dès la première année, ils se posaient déjà des questions. Embarqués dans un système demandant toujours plus de production, ils ont été contraints de respecter des engagements sur 5 ans liés à la dotation "Jeune Agriculteur", pressionnés également par des emprunts bancaires.

 

« On se sentait vraiment coupables, en se disant comment on a pu alimenter ce système... » 

Madeleine, éleveuse

Le premier coup sur la tête : la séparation des agneaux de leurs mères pour récupérer le lait, une étape difficile. « On a bien tenté de rallonger la période de sevrage, mais la finalité reste la même pour les mâles qui partent de la ferme... », dit Madeleine, peinée. « Nous ne sommes pas issus du milieu agricole donc lorsque l'on fait son plan d'entreprise avec la chambre d'agriculture, les agneaux, c'est une ligne sur un tableur Excel qui finalement rapporte de l'argent lors de la vente, ajoute de son côté Olivier. Mais tant qu'on n'a pas vécu cette situation, qu'on n'a pas vu naître un agneau, vu la relation avec sa mère, on ne peut pas se rendre compte de tout ce que cela implique émotionnellement. »

Second coup dur : le choix de vie ou de mort sur un animal. Lors de leur première année en tant que bergers, le couple cède plusieurs agneaux au responsable d'un énorme élevage de près de 7000 bêtes (destinées à être abattues pour les fêtes de Pâques). « On a dû expérimenter de choisir qui devait partir, qui devait rester. On s'est promis que ça, plus jamais ! C'était trop difficile, se remémore la quarantenaire. On se sentait vraiment coupables, en se disant comment on a pu alimenter ce système... »

« Lancés malgré nous dans une course à la production »

Les années suivantes, ils décident de faire autrement, en confiant les agneaux mâles à l'un de leurs amis, agriculteur Bio en poules pondeuses et qui souhaite faire de l'élevage (les femelles sont, elles, gardées pour faire du lait). Mais finalement, ils en reviennent toujours à la même conclusion : leurs animaux qui partent de la ferme finiront, un jour ou l'autre, par être tués. « C'est se confronter à la mise à mort sans arrêt », regrette amèrement Madeleine, avec le sentiment d'avoir été prise dans un cercle vicieux. 

« Lorsqu'on s'est installés, on n'avait pas pris en compte les aléas géopolitiques, climatiques (guerre en Ukraine suivie d'inflation des énergies et matières premières) et le recul du marché de l'agriculture biologique. On a réussi à être sur une autonomie complète (NDLR, notamment en céréales, fourrage ou encore enrichissement des sols avec le pâturage) mais il y avait cette barrière du toujours plus, de l'animal outil. En tant que paysans bien intentionnés, nous nous sommes retrouvés lancés malgré nous dans une course à la production. » Autre élément pesant pour eux, les journées de travail bien remplies à la ferme qui leur laissent peu de temps et peu d'énergie pour mettre en place les alternatives auxquelles ils avaient pensé.

Le couple de Français veut créer un sanctuaire dans lequel des animaux de ferme ainsi que leurs brebis pourront finir leurs vies tranquillement. /©TerredeRêves

L'année 2025 étant là, ils finissent par se lancer dans la création de leur sanctuaire (qui se trouvera sur le site de leur activité actuelle de bergers fromagers, qu'ils cesseront en fin d'année). Ils contactent Virginia, échangent avec elle, et lancent le processus de reconversion. « L'idée du sanctuaire, à laquelle on n'avait jamais pensé, venait vraiment se rajouter à nos idées de départ et nos valeurs fortes quand on est arrivés sur le site », analyse Madeleine. Comment le projet va-t-il concrètement s'articuler ? Madeleine et Olivier vont enfin pouvoir créer l'espace équilibré dont ils rêvaient au départ, « où chaque être a une place ».

Le site accueillera des animaux de ferme (chevaux, ânes, poules, oies, brebis, chèvres, etc..). Le sanctuaire portera le même nom que leur ferme actuelle : Terre de Rêves. Des hébergements intégrés à la nature sont aussi en rénovation. Ils serviront à recevoir des personnes qui suivront une formation donnée par Madeleine et Olivier. Ces derniers ont eu l'idée de créer une école pour sensibiliser, transmettre un certain savoir-faire : l'école de la Terre Verte.

Un sanctuaire « en intégration complète avec la nature »

« On aimerait que les gens soient en intégration complète avec la nature et au sein des espaces des animaux, explique Madeleine. Pour que finalement les espaces dédiés aux animaux et au vivant soient beaucoup plus larges que les espaces dédiés à l'humain. Quand vous arrivez ici vous êtes plongés immédiatement dans l'univers du vivant, c'est vous qui devez vous adapter et non pas l'inverse. » D'autres thématiques proposées par le futur sanctuaire sont encore à l'étude.

Virginia Markus, la fondatrice de l'association Co&xister, est pleinement impliquée dans l'accompagnement du nouveau projet : « On doit désinstaller les machines de traite, créer les parcs et les abris pour les futurs pensionnaires, détaille la jeune femme. Puis niveau communication, il s’agira de mettre en valeur leur témoignage, leur parcours à travers les réseaux sociaux, les médias, etc, pour leur donner de la visibilité et constituer leur nouvelle clientèle. »

 

« On veut vraiment recréer un paysage qui puisse être assez équilibré pour convenir et accueillir toute espèce quelle qu'elle soit. »

Madeleine, éleveuse

Un réaménagement des parcelles dédiées est en cours pour définir les zones de pâturage (sur lesquelles évoluera notamment leur troupeau actuel de 100 brebis), mais également de fourrage, céréales afin que le couple poursuive sa volonté d'être autonome et d’acheter le moins possible à l'extérieur. Ces Aindinois travaillent aussi depuis quelques années à favoriser la biodiversité et à récréer un écosystème équilibré (nichoirs, 1km de haie, forêt comestible...) « Aussi bien au niveau alimentaire qu'énergétique, tout ça fait partie d'un fil conducteur. On veut vraiment recréer un paysage qui puisse être assez équilibré pour convenir et accueillir toute espèce quelle qu'elle soit. »

L'objectif est que le sanctuaire puisse être opérationnel d'ici fin 2025-début 2026. Le couple arrêtera l'activité d'élevage de brebis, de production et de commercialisation de fromage en décembre 2025(le temps de préparer le site et de tout mettre en place). Dans le cas de ces Français, on constate donc qu'économiquement, la reconversion doit se construire dans une temporalité raisonnable, en soulevant des défis mais en assurant sa pérennité à terme.

Lorsque les agriculteurs font appel à Virginia Markus, cette dernière analyse minutieusement chaque profil pour tenter de trouver des solutions « dans la mesure du possible », tempère-t-elle. « Il y en a pour qui, malheureusement, les dettes sont trop conséquentes ou l’éleveur n’est pas assez résilient psychologiquement pour vraiment se reconvertir. »

Elodie arrête son activité, meurtrie par le sort des veaux envoyés à l’abattoir. Mais son choix aura pour conséquence de la séparer de sa famille. /©Elodie

Des reconversions parfois compliquées niveau financier et familial

Parfois le blocage n’est pas financier mais familial ! Comme pour Elodie, éleveuse bretonne de bovins durant 9 ans, qui a totalement arrêté l’élevage en 2024, dégoûtée par le triste sort des veaux destinés à l’abattoir. Elle discute reconversion avec Virginia Markus, cesse son activité et tente au maximum de placer ses bovins dans des refuges (et d’en sauver d’autres qu’elle négocie à des éleveurs). Vivant chez sa mère dans la ferme familiale, ses agissements rendent l’ambiance électrique : « Dans ma famille, on me prenait pour une folle, confie-t-elle. Et puis avec tous les voisins, dans l’agriculture les bruits courent assez vite, comme quoi j’étais devenue activiste pour la protection animale, extrémiste… »

 

« La reconversion est une étape qui demande beaucoup de courage et de s’émanciper du regard des autres. »

Virginia Markus, Co&xister

La pression est telle, qu’Elodie n’a d’autre choix que de quitter la ferme et de couper les ponts avec les siens. « La reconversion est une étape qui demande beaucoup de courage et de s’émanciper du regard des autres, souligne Virginia Markus. Ce n’est pas facile. Ils ne savent pas toujours comment en parler aux collègues ou à leurs proches, souvent ce sont des questions de loyauté familiale. Là aussi le travail d’accompagnement social est important pour soutenir cette démarche. »

En résumé, le point commun de toutes ces personnes qu’accompagne Virginia, c’est le déclic éthique, la volonté d’arrêter l’exploitation animale. « Tout d’un coup il y a un regard échangé avec un animal qui vient tout chambouler dans la tête de ces personnes, analyse la fondatrice de Co&xister. Un déclic s’opère, et il n’y a quasi plus de retour en arrière à partir de là. Tous ces gens portent en eux une grande culpabilité. » Chacun parviendra par arriver à arrêter, à son rythme, en fonction de sa situation professionnelle et familiale. « Il n’y a pas de pression, je ne vais pas les pourchasser pour qu’ils arrêtent au plus vite. L’important est d’accepter la temporalité de ces personnes pour assurer la durabilité et la pérennité de la reconversion. »