Les images de Sweet Girl, une baleine à bosse violemment heurtée par un navire, ont bouleversé la toile. Symbole des conséquences graves des collisions maritimes, ce jeune spécimen n’est malheureusement pas un cas unique. 30millionsdamis.fr a recueilli le témoignage du Dr Agnès Benet, océanologue et fondatrice de Mata Tohora, association polynésienne engagée dans la protection des cétacés.
Le 16 octobre 2024, l’ONG Sea Shepherd dévoilait des images difficiles d’une baleine à bosse juvénile agonisant dans les eaux de Tahiti. Baptisé Sweet Girl, l’animal venait régulièrement à la rencontre des bateaux et des nageurs de son propre gré, la rendant « attachante » auprès de la communauté tahitienne. « Elle était très joueuse et curieuse, témoigne Agnès Benet, océanologue et fondatrice de l’association Mata Tohora en Polynésie française. Elle a été victime d’un accident horrible qui nous laisse tous sous le choc. »
Percuté par un navire, le cétacé a été retrouvé « dans une souffrance extrême », avec « la mâchoire supérieure arrachée, la mâchoire inférieure fracturée, l’os nasal fracturé ». « L’eau est entrée dans le système respiratoire de Sweet Girl et elle s’est noyée sous les yeux de l’un de nos vétérinaires », relate la scientifique à 30millionsdamis.fr. À la suite de cette collision mortelle, Mata Thora et Sea Shepherd France ont porté plainte, déclenchant l’ouverture d’une enquête, toujours en cours au moment de la publication de ces lignes.
Collisions maritimes, première cause de mortalité des cétacés
Sur place, le constat effectué par les professionnels reste sans équivoque : Sweet Girl a été percutée par un bateau « de grande taille et à grande vitesse », confirme la fondatrice de Mata Tohora. Un cas loin d’être unique car, chaque année, les collisions avec les navires seraient responsables de la mort d’environ 20 000 individus, « soit 56 baleines tuées quotidiennement dans le monde », souligne l’association polynésienne Oceania. D’autant plus que ces accidents représentent « la première cause de mortalité due à l’activité humaine pour les grands cétacés du monde », alerte l’organisme dans un communiqué.
À Tahiti (Polynésie française), ces accidents sont majoritairement répertoriés dans les « passes », ces entrées étroites dans le lagon ou dans le port, riches en biodiversité. « La baleine ne peut pas s’échapper, explique Agnès Benet. Sous l’eau, et avec le récif à proximité, il est difficile pour elles de détecter d’où vient le bruit des moteurs. » Les baleines sont alors prises au piège.
Une réglementation souvent ignorée
À l’intérieur de ces « passes », la réglementation impose une vitesse à 5 nœuds [équivalent à 9,26 km/h : ndrl] pour les navires. Hélas, selon Mata Tohora cette limite ne semble jamais respectée. Le jour où Sweet Girl a été percutée, les bateaux ont été enregistrés avec une vitesse équivalente à « 31 nœuds » [57. 14 km/h : ndrl], soit près de six fois supérieure à la norme. « Nous souhaitons faire évoluer la réglementation mais aussi former et sensibiliser les armateurs et les capitaines afin que cela ne se reproduise pas », indique Agnès Benet à 30millionsdamis.fr.
Pourtant, malgré la mort de Sweet Girl, les entrées « à vive allure » semblent se poursuivre, au grand dam des associations environnementales.
Seulement « 28 minutes de quiétude » le jour
De juillet à novembre, les baleines à bosse migrent dans le sanctuaire polynésien pour « se reproduire, mettre bas et se reposer », rappelle Oceania. Mais le mode de vie des grands cétacés s’avère de plus en plus dérangé par l’intensification des activités touristiques. « Notre étude de 2019 relate qu’autour de l’île de Moorea, les baleines n’ont que 28 minutes de temps de quiétude sur douze heures en journée, expose Agnès Benet. Dans un sanctuaire, c’est un non-sens ! ».
Baleine à bosse en milieu naturel ©AdobeStock
En cause : l’« augmentation du nombre de bateaux touristiques en 10 ans », observée par l’association dans son dernier rapport d’activité, et particulièrement au « whale watching », une activité très appréciée des touristes pour observer la faune marine. « La Polynésie française est l’un des derniers pays où nager avec les cétacés est encore autorisé, ce qui attire les foules, explique l’experte. Mais cela peut aussi avoir un impact positif sur la sensibilisation à leur protection, si cela est pratiqué par le prestataire touristique ».
Renforcer les dispositifs de sécurité
Depuis l’accident de Sweet Girl, les bateaux vont toujours à vive allure.
Dr Agnès Benet, océanologue
Protégée, et classée « en préoccupation mineure » sur la liste rouge de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), la baleine à bosse est vulnérable « à l'enchevêtrement accidentel, souvent mortel », ainsi « qu’aux blessures causées par les collisions avec les navires, qui peuvent également être fatales ». « Le tragique incident [de Sweet Girl] souligne la vulnérabilité de la faune marine dans nos eaux et l’urgence d’amplifier les dispositifs de protection de ces espèces », dénonce l’association Oceania.
Si les accidents mortels analogues au cas Sweet Girl ne sont « pas nombreux, car pas souvent signalés » selon Agnès Benet, Mata Tohora poursuit son travail autour de la mise en place de dispositifs pour renforcer la sécurité des baleines, notamment sur les lieux de grands passages. « Depuis l’accident de Sweet Girl, il y a encore des baleines dans la passe, et les bateaux vont toujours à vive allure. Nous sommes très inquiets », alerte l’océanologue.
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