Tanguiéta (Bénin), 30 jan 2018 (AFP) - Assis à l'arrière d'un pick-up du parc national de la Pendjari, dans le nord du Bénin, Matthieu Yoa sourit avec la satisfaction du travail accompli : avec ses collègues rangers, il vient de poser un collier satellite sur un éléphant pour assurer sa protection.
"
C'était très fort", souffle-t-il d
ans un fr
ançais hésit
ant, visiblement ému. Bien que son village natal se situe à quelques kilomètres seulement de cet immense parc national de 4.700 km2, ce jeune homme de 23
ans n'avait jamais vu d'
animaux sauvages il y a encore deux mois. "
Sauf dans des documentaires." Il travaillait comme maçon lorsqu'il a lu d
ans le journal local qu'Afric
an Parks, une ONG dédiée à la protection de la nature et qui gère depuis peu le parc de la Pendjari, recrutait une soix
antaine de gardes. Sur 1.700 c
andidats, il fait partie des 35 élèves sélectionnés pour la première promotion. Après six semaines de formation, il sait comment mettre un éléph
ant à terre pend
ant un quart d'heure pour lui poser un collier et donner ainsi une ch
ance à l'espèce de survivre en Afrique de l'Ouest.
Cette opération extrêmement délicate est supervisée par un vétérinaire sud-africain, Pete Morkel, venu spécialement au Bénin pour équiper de colliers une douzaine d'éléph
ants et de lions. Traquée pend
ant près d'une heure par un avion ULM, puis par deux pickups, la bête s'est effondrée d
ans les herbes hautes après avoir été touchée par un tir de flèche
anesthési
ante. Réveillée quelques minutes plus tard, elle a aussitôt rejoint son troupeau, un peu groggy, avec son nouveau collier.
L'ivoire vers l'Asie
"
Nous avons besoin de connaître leurs déplacements pour leur apporter une meilleure sécurité", explique Pete Morkel, le visage durci par des
années de brousse. "
Les éléphants d'Afrique de l'Ouest sont assez agressifs de nature, parce qu'ils ont été pourchassés dans cette région pendant des siècles."
Autre spécificité de l'éléph
ant ouest-africain, ses défenses sont très petites. "
Tous les individus avec de grandes défenses ont été massacrés, et avec le temps, cela a modifié leur génétique", poursuit le vétérinaire.
Les commerç
ants portugais, arrivés d
ans le royaume du Dahomey dès le XVe siècle, exportaient déjà l'ivoire en gr
ande qu
antité, et le commerce a atteint son apogée pend
ant la colonisation fr
ançaise. Après une courte accalmie d
ans les
années 1990, due à l'émotion internationale et la baisse d'intérêt des clients européens, le trafic a repris il y a une dizaine d'
années avec l'exp
ansion du marché asiatique.
La Chine a totalement interdit le commerce de l'ivoire au 1er janvier, mais cela n'empêche pas encore les trafics de se poursuivre. Fin j
anvier, une tonne d'ivoire a été saisie en Côte d'Ivoire et six personnes ont été interpellées. Début décembre, près d'une tonne de défenses d'éléph
ants, exportées également du port d'Abidj
an, ont été découvertes au Cambodge, en escale pour la Chine.
Doubler le nombre d'éléphants en 10 ans
"
La population de pachydermes est petite en Afrique de l'Ouest, et essentiellement concentrée au niveau de la Pendjari et du WAP -parc transfrontalier qui recouvre la Pendjari ainsi que des zones protégées au Burkina Faso et au Niger- où elle ne dépasse pas les 6.000 individus", raconte Je
an-Marc Froment, chargé de la conservation au sein d'Afric
an Parks.
L'ONG internationale, choisie par l'Etat béninois en 2017 pour gérer cet espace, ambitionne de doubler en 10
ans la population
animale sur place et de réintroduire des éléph
ants d
ans d'autres parcs ouest-africains.
Mais pour ce faire, il faut av
ant tout revoir la sécurité du parc, g
angréné par les réseaux de trafiqu
ants, dont les plus petites mains sont souvent les employés au sein du parc. D
ans "
la salle de contrôle", un petit bureau fraîchement construit, Markéta
Antoninova, m
anager de projets pour Afric
an Parks, regarde les lignes lumineuses tracées sur un écr
an d'ordinateur. "
Grâce à des trackers GPS, on observe les mouvements des équipes de rangers déployés", raconte-t-elle. "
Ils partent sur des missions de sept jours à pied, sur une cinquantaine de kilomètres à travers le parc, mais on leur communique leur destination au jour le jour."
Recopier des leçons
Une mesure destinée à empêcher toute connivence avec les braconniers : auparav
ant, qu
and les gardes corrompus connaissaient d'av
ance tout l'itinéraire de leur mission, "
il leur suffisait d'appeler les braconniers pour leur dire où ils se trouveraient pendant la semaine", explique la jeune femme d'origine tchèque, qui a passé de nombreuses
années au Tchad et au Soud
an.
D
ans le nouveau centre d'entraînement des r
angers, une trentaine de jeunes hommes de la seconde promotion grimpent et dévalent une colline caillouteuse sous un soleil de plomb. Sous un large auvent en paille tr
ansformé en salle de classe, d'autres suivent les cours théoriques. D
ans des petits cahiers à l'effigie de Cristi
ano Ronaldo, les étudi
ants recopient leurs leçons avec application : "
Qu'est-ce qu'un pot-de-vin ?", "
Qu'est-ce qu'un abus de pouvoir ?", "
Qu'est-ce que la biodiversité ?". "
La lutte anti-braconnage ne peut pas se faire uniquement avec les armes et les sanctions", confie Je
an-Marc Froment. Les salaires mensuels des r
angers, de 150.000 Fr
ancs CFA (environ 300 euros), sont import
ants d
ans cette région pauvre du Bénin. "
Mais surtout, il faut transmettre notre passion, faire comprendre l'intérêt de préserver la nature", conclut M. Froment. "
Et cela ne pourra se faire qu'avec le temps."
Commenter
Vous souhaitez déposer un commentaire dans cette liste de discussion ? Pour ce faire, il faut vous créer un compte. La création de compte est GRATUITE : Créez votre compte ou bien identifiez vous.
0 commentaires